Les petits pas, c’est du passé. Il faut radicalement changer.

Propos d’Adélaïde Charlier recueillis par Charles Delhez pour le magazine Rivages

Adélaïde Charlier, coordinatrice francophone du mouvement Youth for climate belge, a vingt ans. Quel sera le monde dans lequel elle aura à vivre ? Après ses études secondaires au collège Notre-Dame de la Paix d’Erpent (Namur), elle prend un an pour visiter le monde, notamment l’Amazonie. Elle vient maintenant d’achever sa première année en sciences sociales et politiques à la VUB. « En pointant le monde politique dans mon combat au quotidien, je me devais de comprendre son fonctionnement », a-t-elle déclaré à Paris Match. Rencontre avec une battante qui nous invite à nous battre.

Un avant-projet du rapport du GIEC a « fuité ». Comment l’avez-vous reçu ?

Ce rapport est très intéressant, mais et surtout très inquiétant. Il est alarmiste : on craint de ne plus pouvoir atteindre l’Accord de Paris, même si on réalise les objectifs mis en place. Le retard est tel que que tout ce qu’on met en place ne sera pas suffisant pour limiter le réchauffement à 2°. C’est une réelle crainte pour les jeunes activistes, pour les jeunes Européens, mais surtout pour les populations qui sont déjà touchées par les conséquences du dérèglement climatique. J’ai été en contact avec les activistes brésiliens. Ils ont déjà de la peine à défendre leur territoire de l’envahissement des multinationales. Il faudra ajouter à cela la sécheresse, la difficulté de l’accès à l’eau potable…. Les petits pas, c’est du passé. Aujourd’hui, on doit radicalement changer la manière dont on vit.

Ce rapport est scientifique. La science nous dit ce qu’elle observe. Ce n’est pas en débat. Viendront ensuite les décisions politiques. Nous devrons donc revoir les ambitions mises en place au niveau européen et l’agenda, et mobiliser les citoyens. J’espère que ce rapport sera entendu par les politiques et qu’il puisse être mis en œuvre par des engagements du citoyen. Que ce ne soit pas un rapport comme tous les autres.

Y aurait-il un chiffre qui vous touche, un fait ?

Un chiffre. Qu’il y ait 40 % de probabilité qu’on ne reste pas en-dessous du 1,5 % d’augmentation dès 2025, avant mes 25 ans, c’est alarmant. C’était l’objectif des jeunes pour le climat.

Et un fait. En Amazonie, j’ai vu la merveille de la forêt : des arbres, des plantes, de la biodiversité, tout un système, et les humains en font partie, ils respectent leur milieu et le défendent. Ces peuples autochtones sont vraiment experts de cet environnement qui est le leur et dans lequel ils ont vécu depuis des générations. Il faut pouvoir les entendre.

La transition écologique est-elle la seule ?

Je me bats pour un nouveau monde, neutre en carbone, sans doute, mais pas seulement. Je m’engage aussi pour une société qui respecte son environnement, les forêts, les rivières, tous les êtres vivants et les humains. Je me considère comme activiste des droits de l’homme et notamment ceux des peuples autochtones. Il faut également prendre en compte ce qui est mis en avant par des mouvements antiracistes, anticolonialistes, féministes et beaucoup d’autres. Si on crée ce nouveau monde, il ne faudra pas y emporter avec nous les problèmes de notre société, qui ne sont pas que climatiques.

On parle de transition, il s’agit d’aller vers en passant par… mais où risquerions nous d’aller si rien n’est fait ?

Si on ne fait rien, la situation peut devenir catastrophique. 99 % des scientifiques sont d’accord pour dire qu’il y a des causes humaines dans le dérèglement climatique. Ce n’est pas tant la planète qui court des risques, mais l’humanité. Sur cette planète, il pourrait y avoir des parties inhabitables. Et ici, en Europe, on peut s’attendre à des vagues de migrations beaucoup plus importantes. Quand on sait les débats politiques qu’elles suscitent déjà aujourd’hui, car on n’est pas prêt à envisager le partage de notre territoire. Ou bien on travaille à une planète plus habitable ou bien il va falloir partager. On est dans l’entre-deux. C’est dans les sept prochaines années que cela va se jouer. C’est short timing. Il faut aller beaucoup plus vite, et pour cela mobiliser les citoyens et les engager à plus d’action. Cela doit commencer aujourd’hui. Les scientifiques répètent qu’on devrait aller beaucoup plus loin et plus rapidement.

Et comment ?

Il nous faut construire dès maintenant une démocratie plus participative. Les citoyens sont en effet une part de la solution. Il faut les inclure dans les discussions. Ainsi, en France, 150 citoyens ont été tirés au sort pour une démarche parlementaire. Ils ont eu le temps d’être informés et conscientisés au sujet de la situation actuelle. La démocratie participative est une clé pour demain, pour recréer une société plus respectueuse des êtres vivants.

Les décisions d’aujourd’hui vont avoir un impact sur demain, mais j’ai mon mot à dire, je vais faire tout ce qu’il faut pour que cela aille mieux. Si il y a tant de lenteurs, c’est notamment parce que les médias, influencés par les lobbies industriels, n’ont pas relayé convenablement l’information. Cela donne l’impression que les questions se posent à 50 contre 50, alors que la presque totalité des scientifiques est d’accord pour dire qu’il y a réellement une cause humaine et qu’il faut agir vite.

Qu’est-ce qui vous donne de l’énergie ?

Ce qui me booste, ce sont tous ces citoyens qui déjà bougent, qui s’engagent dans une transition alimentaire, à Liège par exemple, qui proposent des alternatives locales. Il y aussi des banques alternatives… Il faut aller les écouter, découvrir leurs initiatives, voir comment ils vivent. C’est ce qu’a fait le film Demain.

Et votre espérance ?

Je n’aime pas le mot espoir, trop passif, je préfère en effet celui d’espérance, cet optimisme pour lequel on s’engage. Dans le rapport, il n’y a rien d’optimiste, mais je me bats pour qu’on en sorte. Je garde toute ma hargne, mon optimisme, mon sourire grâce à ceux qui m’entourent. J’ai 20 ans, je n’ai pas le choix. Je vais en effet devoir vivre dans le monde de demain. Soit je nie le problème, soit je déprime. Mais cela doit aller mieux et je fais tout pour cela. J’aurai essayé, je pourrai dormir sur mes deux oreilles. Il y a beaucoup de jeunes autour de moi qui ont cette énergie-là et sont prêts à se battre. Parmi eux sont les futurs scientifiques, experts, professeurs, politiques… Peu importe ce qui se passe, nous on avance. Je fais tout pour aller chercher un maximum de jeunes qui questionnent le monde. Il y a des moments durs, mais je préfère me battre avec le sourire, plutôt qu’en pleurant. Ce qui divise les jeunes, c’est la question des moyens illégaux. Je crois qu’il faut passer parfois par la désobéissance civile, ainsi quand on ratait les cours. Mais jamais par la violence, même si c’est plus lent. Il est important de garder les valeurs que nous voulons voir dans le monde de demain.

Générosité et idéal suffisent-ils ?

Sans doute faut-il des actions spontanées, mais il faut aussi pouvoir construire quelque chose, s’informer, voir ce que l’on veut pour demain, garder nos valeurs. Cet été, nous n’aurons aucune activité. Nous nous retrouverons pour prendre le temps d’imaginer ensemble, pour planifier l’année d’après.

Vous ressourcez-vous de temps en temps ?

C’est peut-être mon point faible. Je vais de l’avant, je ne prends pas assez de recul. J’avoue que je n’ose pas trop me retrouver avec moi-même. J’entends de plus en plus parler de méditation, j’en ai fait, mais trop peu. Pendant les 15 premiers jours de juillet, cependant, je suis partie à mon camp guide. C’est essentiel pour moi. Pendant ces jours-là, je m’isole, j’arrête totalement.

Lire : Quel monde pour demain? Esméralda de Belgique et Sandrine Dixson-Declève, Adélaïde Charlier et Anuna De Wever. Ed. Luc Pire, 2021.

Rivages n°30, bimestriel.