“Un seul talent suffit”

Thierry de Stexhe et la Ferme de Froidmont

Propos recueillis par Charles Delhez sj.

Le samedi 9 octobre 2021 à RivEspérance, la Ferme de Froidmont Insertion fournira les repas de midi et du soir aux participants du forum. Froidmont Insertion, c’est un un essai d’écologie globale. Récit d’une utopie réalisée.

L’ASBL la Ferme de Froidmont Insertion, située à Rixensart, est un restaurant pédagogique avec 2.5 ha de culture maraîchère pour faciliter l’insertion socioprofessionnelle et la formation par le travail d’adultes en situation précaire. Ce sont aussi neuf logements à loyer modéré, dont six pour personnes en difficulté.

Tout a commencé en 2002, explique Thierry de Stexhe. Il travaillait à Prague, comme directeur des ressources humaines. Un dimanche, l’Évangile des talents l’empoigne. « Et toi, quels sont tes talents ? Et dans quoi n’oses-tu pas t’engager ? » Bien éduqué et formé, il se sentait privilégié : ses 10 et 5 talents, c’étaient l’entrepreneuriat, le développement des personnes, le pragmatisme, l’énergie, une brique dans le ventre…

Dans la parabole, cependant, le troisième homme reçoit un talent et non pas rien », fait observer Thierry. Et de commenter : « L’évangile nous dit que pour toute situation, personne n’est sans rien. Chacun a au moins un talent dans le fond de sa poche, mais s’il l’y laisse, il ne se passera rien. On a donc toujours ce qu’il faut même pour les situations qui nous semblent insolubles. Il suffit de le risquer. » Il ajoute : « Ce jour-là, le texte m’est tombé dessus quand j’étais au top d’une confortable carrière. Comment répondre à cet appel ? De quoi avais-je peur ? » 

« C’est un appel de l’Évangile »

Cette réflexion s’est poursuivie, puis un jour, il s’est dit : « Ce sera mon dernier emploi dans le monde des affaires. L’argent y est un moyen très utile, mais s’il devient le but ultime, c’est la catastrophe. » Donc, 6 ans plus tard, il débute une année sabbatique. Et voilà qu’au premier dimanche, lors de la messe à Froidmont, les frères dominicains annoncent leur départ. Tout le monde était triste, sauf lui ! « C’est ici ! me suis-je dit à l’instant. » Il y avait en effet un monde que Thierry ne connaissait pas encore, celui de la pauvreté et de l’exclusion. « Pourquoi ne pas y risquer ce talent-là — avec tous les autres — à Froidmont ? » 

Il se retire alors quelques jours à La Viale, en Lozère (France), pour discerner. Surprise ! Le prêtre qui écoute ses projets lui raconte que le futur curé de Froidmont est venu en retraite au même endroit quinze jours plus tôt. Il lui a parlé de projets semblables. Dès son retour, Thierry lui téléphone. « C’est la Providence », se disent-ils tous deux. Dix-huit mois plus tard, le 1er mars 2010, l’ASBL s’installait dans le bâtiment.

Froidmont a maintenant 6 ans d’existence. Dans la réalisation d’un projet ambitieux comme celui-là, les joies et les vicissitudes ne manquent pas, mais toujours Thierry se dit : « Ça va aller. C’est un appel de l’Évangile. C’est pour du bon et cela va donner du bon. Dans les moments les plus incertains, je me suis reposé sur le Christ. Tu m’as envoyé au casse-pipe, ne ferais-tu pas quelque chose ? J’ai toujours reçu le nécessaire. » 

Thierry est l’initiateur et le moteur de ce projet qu’il vit comme une véritable vocation. Mais il ne revendique pas pour autant le succès de l’entreprise. Au fond de lui-même, une petite voix lui souffle : « Ce n’est pas toi qui as fait cela. » Alors, il transmet les remerciements « plus haut ». « Moi, j ’y mets un sens chrétien, mais c’est une association d’hommes et de femmes de bonne volonté, quelles que soient leurs convictions. » C’est le fruit de l’engagement de tous, insiste-t-il. Et même de sa femme. « Sans le oui de Francine, je n’aurais pas pu y aller. » Il prend alors un temps de réflexion. « J’ai bien fait, c’est chouette, c’est réjouissant, c’est remplissant même si c’est parfois lourd. Merci, l’Évangile ! »

Une utopie réalisée 

« C’est une petite utopie réalisée. En effet, dans ce monde, les différences entre riches et pauvres n’ont jamais été aussi fortes. Nous sommes assis sur de la dynamite. Nous ne pouvons les laisser s’accroître, ni dans les petites structures, ni au niveau mondial. La richesse n’est qu’une protection très temporaire contre les tensions sociales et les changements climatiques. Parfois, je me dis qu’il y a longtemps que les désespérés n’ont plus pris les armes dans nos pays, mais que cela pourrait bien revenir, car la situation devient intolérable. Nous devons changer la société. Dans une avalanche, aucun flocon ne se sent responsable. Pourtant, chacun y a sa part de complicité. Il faut que tout le monde accepte de partager, de donner à d’autres quelque chose auquel il tient. C’est humainement impératif, mais aussi logique du point de vue économique. Nous allons vivre une transition parfois difficile. La peur s’installe chez beaucoup, et c’est compréhensible. Il faut faire plus que sa part. Il faut à tout prix y arriver. On a peu de temps pour bouger, mais c’est faisable. »

Et de conclure : « Froidmont est un résultat collectif dû à tous ceux qui y travaillent ou s’y forment. Il y a de l’exigence, mais aussi de la bienveillance, car nous savons accepter l’imperfection. C’est une sorte de petite écologie intégrale en pleine croissance. »