L’Église appelée à une transition fraternelle

Véronique Margron, religieuse dominicaine, est théologienne moraliste et présidente de la Conférence des religieuses et religieux en France (Corref). Elle fut doyenne de la Faculté de théologie de l’Université catholique de l’Ouest à Angers, de 2004 à 2010. Son dernier livre, Un moment de vérité (Albin Michel,  2019), traite de la crise de la maltraitance dans l’Église catholique. Lors de RivEspérance 2021, elle participera à la grande table ronde du samedi matin avec Etienne de Callataÿ, Adelaïde Charlier et Elena Lasida. 

La crise de l’Église est-elle en lien avec la transition que vit notre société ? Y a-t-il une transition à mener dans l’Église ? 

Un lien structurel, je ne sais pas. Mais un lien avec les mutations de nos sociétés, notamment quant à la place des femmes, oui. L’Église vit une crise des positionnements dans l’Église, de la reconnaissance de la capacité de responsabilité de chacun. Et là, c’est assez lié à la transition dans nos sociétés. La place de la femme dans la structure hiérarchique n’est pas représentative de celle qu’elles ont dans de la société (même s’il y a encore, là aussi, des disparités). Dans l’Église, les femmes ne peuvent pas avoir les mêmes responsabilités que les hommes. Faut-il ordonner prêtres les femmes ? Je ne sais pas. N’y aurait-il pas un risque de nouveau cléricalisme ? La véritable question est : en quoi l’ordination a-t-elle à voir avec la responsabilité dans les communautés ? Faut-il que ce soit un prêtre qui soit vicaire général, par exemple ?

Il y a aussi la question démocratique. Notre société supporte mal les positions qui apparaissent trop autoritaires, même si elles sont fondées sur l’élection. Il y a un besoin de débat public, de s’approprier les décisions. Or, dans l’Église, il y a une réelle difficulté de clarté, de participation au débat, de visibilité dans le processus de décision.

Pourquoi la cause de l’Église vous tient-elle tant à cœur ?

Parce que j’en suis membre, et que j’ai fait profession religieuse (Véronique Margron est religieuse dominicaine, NDLR). Je pense, de plus, qu’il est très compliqué d’imaginer la transmission de l’Évangile sans collectif. Certes, ce qui fait renaître, ce sont d’abord les expériences individuelles, la justesse de la foi individuelle, mais ces expériences doivent être ensuite portées par un collectif. Il n’y a ni annonce ni transmission pensables sans communauté chrétienne organisée. Finalement, c’est l’Évangile qui me tient à cœur. Je voudrais qu’il puisse être vécu, raconté, expliqué, proclamé, qu’on en donne le goût. Et cela n’est pas possible sans institution. Au bout du compte, c’est la cause des gens qui me tient à cœur, les gens qui sont dans l’Église ou qui y ont été. 

Quel serait votre souhait, votre désir pour cette Église ?

Je rêve de plus de simplicité, d’une Église avant tout fraternelle, tournée vers l’extérieur, vers autrui, et non pas tant soucieuse d’elle-même, de sa ritualité, du nombre de ses pratiquants. Je voudrais que sa parole retrouve du crédit, qu’elle puisse être utile au débat commun, au bien commun, qu’elle soit un plus en terme d’espérance, porteuse d’élan, de courage. J’aimerais que l’Église n’ait pas peur du débat public, qu’elle apporte une pierre constructive et donne le courage d’avancer ensemble pour faire face aux apories d’aujourd’hui.

Et concrètement, quelle serait la priorité ?

Il y a beaucoup d’endroits où des choses, et même beaucoup, se font déjà. Nous ne sommes pas devant une table rase. Un des chantiers me semble être de rendre possible du débat interne, respectueux, argumenté. Que l’on ait un goût de la conversation, que cela devienne une habitude, au niveau paroissial, par exemple. Dans le cadre de la société, j’aimerais que l’Église ne soit pas, dans le meilleur des cas, respectée comme une vieille dame, ce qui n’a pas de poids, mais qu’elle entre dans la conversation et pour cela, qu’elle le pratique à l’intérieur. 

Et de la crise des abus dans laquelle vous êtes particulièrement investie, quel enseignement peut-on tirer ?

On se rend compte aujourd’hui combien le discours religieux, liturgique, théologique est gros de représentations qui ont participé à la culture des abus, au silence, à la sacralisation du prêtre, à une forme de surplomb. Il faut revisiter toute une part de la théologie (et pas seulement instiller un peu de morale) et cesser de considérer qu’une mystique est au-dessus de la loi. Le sacré – une catégorie peu biblique – accroît ce drame.

Cela m’enseigne aussi combien les histoires humaines peuvent être fracassées. Comment est-il possible que tant de monde ne s’en soit pas rendu compte ou n’ait pas voulu voir ? La culture du silence et du secret est un lourd péché. C’est une tragédie à l’intérieur de la tragédie, un scandale. Sans doute, dans la société civile, y a-t-il autant d’agresseurs, mais pas autant de victimes. Or, on a été obsédé par la position du prêtre avant de penser à la victime. 

Ces crimes relèvent du tu ne tueras pas du tu ne commettras pas l’adultère, mais aussi du commandement qui demande de ne pas utiliser à faux le nom de Dieu. Or, des abus ont été commis au nom de Dieu et de sa volonté. C’est effrayant. L’Église constitue une fraternité. Comment se fait-il que les frères soient devenus des pères ? On a reproduit le modèle familial avec un père, au lieu d’un modèle fraternel. Pourquoi ne parvient-on pas à tisser une vraie fraternité en Christ au nom d’un seul Père ? 

Recueilli par Charles Delhez sj